
Enquête à travers l’exemple de la révolution sud-africaine.
Il est de coutume d’entendre les politiciens parler de social, de réduction des
inégalités, de lutte contre le chômage, lancés comme des slogans qui sonnent
creux pour le citoyen avisé qui interprète ces paroles comme des belles promesses électorales.
La question qui brûle les lèvres de tout citoyen à
l’écoute de ces promesses est simple mais très juste : comment y parvenir ?
Pour comprendre le comment, il faut non pas chercher du côté des idées,
ce versant a été maintes fois discuté et une recherche approfondie dans
l’histoire permettrait d’en ressortir des idées lumineuses. Le versant
le plus important d’un point de vue stratégique est celui du financement
et donc du pouvoir de la création monétaire, pouvoir détenu en grande
partie dans une institution d’une importance cruciale : la Banque Centrale de Tunisie.
ce versant a été maintes fois discuté et une recherche approfondie dans
l’histoire permettrait d’en ressortir des idées lumineuses. Le versant
le plus important d’un point de vue stratégique est celui du financement
et donc du pouvoir de la création monétaire, pouvoir détenu en grande
partie dans une institution d’une importance cruciale : la Banque Centrale de Tunisie.
Afin d’éclairer le lecteur sur l’importance de la Banque Centrale, nous allons le
transporter dans l’Histoire, et revenir sur un des moments les plus inoubliables,
les plus symboliques de la lutte contre l’oppression : la révolution de l’Afrique
du Sud sous l’égide de l’ANC et de son leader charismatique Nelson Mandela,
et plus précisément sur les négociations qui ont eu lieu pendant la transition,
c'est-à-dire la période actuellement traversée par la Tunisie. Nous allons
extraire des passages d’un livre indispensable pour comprendre la Crise
actuelle : La Stratégie du Choc de Naomi Klein (voir le chapitre X).
Commençons d’abord par mesurer la profondeur tant historique que populaire
de la révolution sud-africaine à travers la célèbre Charte de la Liberté : « Tout
débuta en 1955, au moment où le parti dépêcha 50 000 volontaires dans les
townships et les campagnes. Ces derniers avaient pour tâche de recueillir
auprès des gens les « conditions de la liberté » – vision d’un monde sans
apartheid dans lequel tous les Sud-Africains exerceraient des droits égaux. Les
revendications étaient notées à la main sur des petits bouts de papier : « Des
terres pour ceux qui n’en ont pas », « Un salaire décent et des heures de travail
réduites », « L’éducation gratuite et obligatoire pour tous, sans égard à la
couleur, à la race ou à la nationalité », « Le droit de s’établir et de se déplacer
librement », et ainsi de suite. Les dirigeants du Congrès national africain firent
la synthèse des exigences dans un document final, adopté officiellement le 26
juin 1955 à l’occasion du Congrès du Peuple organisé à Kliptown, township
servant de « zone tampon » entre les Blancs de Johannesburg et les multitudes
de Soweto. Environ 3 000 délégués – des Noirs, des Indiens, des Métis et
quelques Blancs – s’installèrent dans un terrain vague pour voter les articles du
document. Selon le compte rendu que fait Nelson Mandela du rassemblement, «
la Charte fut lue à haute voix, chapitre après chapitre, en anglais, en sesotho et
en xhosa. À chaque pause, la foule hurlait son approbation aux cris de Afrika !
et de Mayibuye! ». L’article premier, d’un air de défi, proclame : « Le peuple
gouvernera ! »
Cette révolution était d’une symbolique si forte qu’elle représente le meilleur
exemple à mettre en parallèle de celle de la Tunisie, tant celles-ci ont engendré
une vague d’espoir. Et pourtant, lors des négociations entre l’ANC et le régime
d’apartheid, il y eut un tournant décisif qui fit basculer la révolution de l’espoir
vers le désespoir dans une symbolique majestueuse entre l’ombre – les
négociations économiques –, et la lumière – les négociations politiques entre
Mandela et de Klerk. La stratégie de l’ombre fut la suivante : « Dans le cadre de
ces négociations, le gouvernement de F. W. de Klerk adopta une stratégie en
deux volets. S’inspirant du consensus de Washington, selon lequel il n’existe
qu’une seule façon de diriger une économie, il qualifia les principaux secteurs
décisionnels relatifs à l’économie – par exemple la politique commerciale et la
banque centrale – de « techniques » ou d’« administratifs ». Il eut ensuite
recours à un large éventail de nouveaux outils stratégiques – accords
commerciaux internationaux, innovations dans le domaine du droit
constitutionnel et programmes d’ajustement structurel – pour céder le contrôle
de ces centres de pouvoir à des experts, économistes et fonctionnaires
prétendument impartiaux du FMI, de la Banque mondiale, de l’Accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et du Parti national – bref,
n’importe qui sauf les combattants pour la liberté de l’ANC. On assista donc à
la balkanisation non pas du territoire géographique (que de Klerk avait tenté
d’imposer), mais bien de l’économie. » Cette stratégie n’est pas sans rappeler les
appels incessants de mise en place d’un gouvernement de technocrates, incluant
le maintien de celui considéré comme le plus intègre : l’américano-tunisien
Mustapha Kamel Nabli, gendre de Kamel Eltaief, et surtout qui a été chef
économiste et directeur chargé de la région MENA (Moyen Orient Afrique du
Nord) de 1999 à début Janvier 2011 à la Banque Mondiale, parachuté
Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie seulement trois jours après le
départ de Ben Ali. « Tout sauf des personnes élues » pourrions-nous dire
analogiquement.
Notons au passage que la Banque Mondiale est l’un des plus
gros créanciers de la Tunisie et se targue même de compter parmi ses missions
de gérer la dette publique du pays (voir l’encadré 7 du DSP), ce qui est un
comble pour un créancier ! Vu le nombre d’années passées à un poste
stratégique au sein de la Banque Mondiale, il est tentant de faire le parallèle
avec le coup d’Etat de Goldman Sachs en Europe actuellement.
Pour mesurer l’importance des négociations, surtout celles qui se font dans
l’ombre, entrons donc dans le vif du sujet et apprécions avec quelle vicissitude
des mailles placées stratégiquement peuvent tuer une révolution dans l’œuf :
« Padayachee entra dans la lutte pour la libération durant les années 1970 en
tant que conseiller du mouvement syndical sud-africain. « À cette époque-là,
nous avions tous la Charte de Liberté collée derrière notre porte », explique-t-il.
Je lui demandai alors à quel moment il avait compris que les promesses
économiques qu’elle renfermait ne seraient jamais réalisées. Il me répondit
qu’il a commencé à s’en douter à la fin de 1993 lorsque lui-même et l’un de ses
collègues de l’équipe Make Democracy Work avaient reçu un coup de fil de la
part des négociateurs, qui en étaient au dernier stade de leurs tractations avec
le Parti national. On avait besoin d’un document de travail sur les avantages et
les inconvénients qu’il y avait à faire de la banque centrale d’Afrique du Sud
une entité autonome, tout à fait indépendante du gouvernement élu – et on le
voulait pour le lendemain matin. « Nous avons vraiment été pris par surprise »,
déclara Padayachee, à présent quinquagénaire.
Il avait fait des études supérieures à l’université Johns Hopkins de Baltimore.
Même parmi les économistes néolibéraux des États-Unis, l’idée d’une banque centrale
indépendante était considérée comme marginale, le dada d’une poignée
d’idéologues de l’école de Chicago persuadés que les banques nationales
devaient être gouvernées comme des républiques indépendantes à l’intérieur des
États, loin de l’ingérence des législateurs élus. Pour Padayachee et ses
collègues, convaincus que la politique monétaire devait au contraire être mise
au service des « grands objectifs de croissance, de création d’emplois et de
redistribution » du nouveau gouvernement, la position de l’ANC ne faisait
aucun doute : « Pas de banque centrale indépendante en Afrique du Sud. »
Padayachee et l’un de ses collègues passèrent la nuit à rédiger un document
dans lequel ils fournissaient à l’équipe de négociation des arguments à opposer
à la proposition surprise du Parti national. Si la banque centrale (appelée
Reserve Bank en Afrique du Sud) était détachée du reste du gouvernement,
l’ANC ne serait peut-être pas en mesure de respecter les promesses de la Charte
de la Liberté. Et si la banque centrale ne relevait pas du gouvernement de
l’ANC, à qui, au juste, rendrait-elle des comptes ? Au FMI ? À la bourse de
Johannesburg ? De toute évidence, le Parti national cherchait un moyen
détourné de s’accrocher au pouvoir malgré sa défaite aux urnes – stratégie à
laquelle il fallait résister à tout prix. « Le Parti national engrangeait le plus de
concessions possibles, dit Padayachee. Ça, au moins, c’était clair. »
Padayachee faxa le document le lendemain matin et attendit des nouvelles
pendant des semaines. « Puis, un jour, nous nous sommes informés de la
situation. “Nous avons lâché ce morceau-là”, nous a-t-on répondu. » Non
seulement la banque centrale constituerait-elle une entité autonome au sein de
l’État, son indépendance étant enchâssée dans la nouvelle Constitution, mais en
plus, elle serait dirigée par l’homme qui la pilotait sous l’apartheid, Chris Stals.
Et l’ANC n’avait pas renoncé qu’à la banque centrale : aux termes d’une autre
concession majeure, Derek Keyes, ministre des Finances blanc sous l’apartheid,
demeurerait en fonction – de la même façon que les ministres des Finances et
les directeurs des banques centrales sous la dictature argentine avaient réussi à
se maintenir en poste une fois la démocratie rétablie. Le New York Times fit
l’éloge de Keyes, présenté comme « l’apôtre en chef d’un gouvernement frugal
et sympathique à l’entreprise privée ». « Jusque-là, dit Padayachee, nous étions
optimistes. Nous menions une lutte révolutionnaire, bon sang ! Il allait
forcément en sortir quelque chose de bon. » En apprenant que la banque
centrale et le Trésor demeureraient aux mains de leurs anciens titulaires sous
l’apartheid, il comprit que « le projet de transformation de l’économie allait
tomber à l’eau ». Je lui demandai s’il croyait que les négociateurs avaient
conscience de ce qu’ils avaient perdu. Après un moment d’hésitation, il répondit
: « Franchement, non. » C’était le jeu de la négociation. « Dans un tel contexte,
il faut céder des choses, et c’est ça que nous avons cédé. C’était du donnantdonnant. »
Du point de vue de Padayachee, il n’y eut donc pas de trahison
majeure de la part des dirigeants de l’ANC. Seulement, l’adversaire leur dama
le pion à propos d’une série d’enjeux qui, à l’époque, semblaient accessoires. Il
se révéla en fin de compte que la libération de l’Afrique du Sud en dépendait.
Les négociations conclues, l’ANC se trouva donc empêtré dans un filet d’un
nouveau genre, fait de règles et de règlements obscurs, tous conçus pour
confiner et restreindre le pouvoir des élus. Lorsque le filet se referma sur le
pays, seules quelques personnes remarquèrent sa présence. Puis, une fois
installé au pouvoir, le nouveau gouvernement essaya de manœuvrer librement et
de faire bénéficier ses électeurs des effets tangibles de la libération qu’ils
escomptaient et en faveur desquels ils s’étaient prononcés. Mais alors les
mailles du filet se resserrèrent et l’administration constata que ses pouvoirs
étaient étroitement circonscrits. Patrick Bond, conseiller économique au bureau
de Mandela pendant les premières années au pouvoir de l’ANC, se souvient de
la blague que l’on se répétait en interne : « Nous avons l’État. Où est le pouvoir
? » Lorsqu’il tenta de donner corps aux promesses de la Charte de la Liberté, le
nouveau gouvernement se rendit compte que le pouvoir était bel et bien
ailleurs.[…] En somme, l’Afrique du Sud était à la fois libre et captive. Les
lettres d’acronymes sibyllins étaient autant de fils qui liaient les mains du
nouveau gouvernement. Rassool Snyman, militant antiapartheid de longue date,
me décrivit le piège en ces termes : « Ils ne nous ont jamais libérés. La chaîne
que nous avions au cou, ils l’ont mise à nos chevilles. » Selon Yasmin Sooka,
éminente militante pour les droits de l’homme, la transition, « c’étaient les
entreprises qui disaient : “Nous allons tout garder et vous [l’ANC] n’aurez
le pouvoir que pour la forme.” […] Vous pouvez avoir le pouvoir politique,
donner l’apparence de gouverner, mais c’est ailleurs que s’exerce la véritable
gouvernance ». Dynamique d’infantilisation fréquemment imposée aux pays dits
en transition – on donne au nouveau gouvernement les clés de la maison, mais
pas la combinaison du coffre-fort. »
Ce passage est d’une telle cruauté pour un peuple qui s’est battu, qui a donné
son sang pour la Liberté, qu’il est nécessaire de faire savoir aux tunisien(ne)s ce
qu’il se trame dans l’ombre et insidieusement pendant qu’ils fêtent la révolution.
Car la révolution tunisienne est belle et bien en danger, et nous reviendrons
assez amplement sur le bilan sud-africain pour mettre en garde le peuple tunisien
sur les mailles du filet qui, doucement, se resserrent petit à petit sur lui. Nous
avons déjà souligné le potentiel conflit d’intérêt entre Nabli à la Banque
Centrale et son ancien employeur la Banque Mondiale. Néanmoins, celui-ci
reste dans la potentialité tant que Nabli n’a pas avancé ses pions. Ce qui a été
fait à la suite du Forum Emploi et Développement Régional organisé par
l’UTICA le 12 Septembre 2011, et auquel Nabli a participé en tant que
modérateur, le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie s’est permis (peut-
être par relâchement dû à son aura médiatique) de lâcher l’arme de destruction
massive qui achèverait la révolution lors d’une interview donnée au site
WebManagerCenter. Au milieu des missiles typiques de la Banque Mondiale
telle que l’idée de « bonne gouvernance » (sujet sur lequel nous reviendrons plus
tard car il vaut son pesant d’or) – idée tant défendue par Nabli au sein de la
Banque Mondiale –, sans sommation, il dégaine : « Quant à la stabilité
financière, elle ne peut être garantie que par l'indépendance de la Banque
centrale. » Le mot est dit dans la bouche de l’actuel Gouverneur de l’institution
la plus stratégique de la Tunisie, et il ne sera plus dit depuis. C’est ici qu’entrent
en résonance les expériences sud-africaine et tunisienne, révolutions d’autant
symboliques sur le continent africain que leur destinée semblent suivre un
chemin similaire : celui d’un coup d’Etat économique légitimé
démocratiquement qui plus est.
Pour tenter de comprendre comment une révolution aussi profonde – aussi
poussée tant dans ses revendications que dans la forme dans lesquelles elles
ont émergé – a pu aboutir à enchaînement sous une autre forme, il faut revenir
sur la période temporelle qui a vu se jouer cette partie d’échec mais cette fois-ci
du point de vue des militants : «« Pourquoi les militants de base n'avaient-ils pas
forcé l'ANC à tenir les promesses formulées dans la Charte de la Liberté ?
Pourquoi ne s'étaient-ils pas révoltés contre pareils concessions ? J'ai posé la
question à William Gumede, militant de l'ANC de la troisième génération qui, en
tant que leader étudiant pendant le transition, passa ces années tumultueuses
dans la rue. « Tout le monde suivait les négociations politiques, dit-il au
souvenir des sommets Mandela-de Klerk. S'il y avait eu des problèmes de ce
côté, d'énormes manifestations auraient éclaté. Mais lorsque les négociateurs de
la table économique présentaient leurs rapports, personne ne les écoutait.
C'était, croyait-on, technique. » Mbeki [Président de l’Afrique du Sud entre
1999 et 2008 et en charge des négociations économiques] encourageait cette
perception des choses en affirmant que les pourparlers étaient
« administratifs », sans intérêt pour le commun des mortels (un peu comme les
Chiliens avec leur démocratie « technicisée »). Par conséquent, me confia
Gumede, exaspéré : « Nous avons raté le coche ! Nous sommes passés à côté
des véritables enjeux. ». Gumede, devenu l'un des journalistes d'enquête les
plus respectés d'Afrique du Sud, dit qu'il a fini par comprendre que c'étaient ces
discussions « techniques » qui avaient décidé du sort de son pays – même si, à
l'époque, ils étaient peu nombreux à s'en rendre compte. [..] « Je me concentrais
sur la politique – l'action collective, les virées à Bisho [siège d'une
confrontation décisive entre la police et les manifestants]. Je criais : « Qu'on
nous débarrasse de ces types ! » se souvient Gumede. Mais je me trompais de
combat – la vraie bataille était livrée sur le front économique. Je m'en veux
d'avoir été naïf à ce point. Je croyais avoir assez de maturité politique pour
comprendre. Comment ai-je pu ne pas me rendre de ce qu'il se passait ? ».
Hormis une poignée d'économistes, personne n'avait envie de parler de
l'indépendance de la banque centrale, sujet soporifique par excellence, même
quand tout va bien par ailleurs. Selon Gumede, la plupart des gens se disaient
que l'ANC, une fois bien en selle, n'aurait qu'à revenir sur les compromis faits à
la table de négociation. « Nous allions former le gouvernement, dit-il. Nous
verrions cela ultérieurement. » Ce que ne comprenaient pas les militants, c'est
que les pourparlers en cours avaient pour effet d'altérer la nature même de la
démocratie et que, une fois les mailles du filet refermées sur leur pays, il n'y
aurait pas d' « ultérieurement ». »
Ainsi, toute la stratégie réside dans la manipulation de l’ombre et de la lumière.
Lumière a été faite, en Tunisie, sur la laïcité qui, par ironie du sort, jette le voile
et laisse dans l’ombre la question de la banque centrale dont nous venons de
montrer à quel point elle est nodale voire vitale. Ironie mise à part, tout l’art de
tuer la révolution réside dans la capacité à dissimuler les vrais enjeux au vu et
au su de tous et en toute transparence. « Le bon stratège manipule l’ennemi
tout en cachant ses propres intentions », disait Sun Tzu. Nous entrons ici dans le
domaine de la perception manipulée où le vrai et le faux s’entremêlent et se
confondent, et où l’idéologie se fait passer pour neutre. Ainsi, les idéologies
masquées ont travaillé dans l’ombre en Afrique du Sud : « Vishnu Padayachee
a résumé pour moi le message que les dirigeants de l'ANC reçoivent depuis le
début par « des gouvernements occidentaux, du FMI et de la Banque Mondiale.
Ils disent : « Le monde a changé. Les idées de gauche n'ont plus de sens. Il n'y a
plus qu'une seule façon de faire les choses. » Comme l'écrit Gumede : « L'ANC
n'était absolument pas préparé à un tel assaut. Les principaux décideurs
économiques étaient périodiquement envoyés vers les sièges sociaux
d'organisations internationales comme la Banque Mondiale et le FMI. En 1992
et1993, quelques membres du personnel de l'ANC, dont certains n'avaient
aucune connaissance en économie, suivirent des programmes de formation
abrégés dans des écoles d'administrations étrangères, des banques
d'investissement, des groupes de réflexion sur la politique économique et à la
Banque Mondiale, « où ils ont eu droit à un régime riche en idées
néolibérales ». C'était étourdissant. Jamais encore un gouvernement en devenir
n'avait été ainsi courtisé par la communauté internationale. »
Ainsi, il est clair et évident que certaines questions, ainsi que leurs réponses,
sont idéologiques mais n’apparaissent pas telles quelles aux yeux du peuple.
Le seul moyen de neutraliser une idéologie pour la rendre « technique » est de
la rapprocher le plus possible d’une science (d’où la recrudescence du chiffrage
et de tout ce qui tourne autour des statistiques), et les artisans de cet enfumage sont les
technocrates formatés dans des centres d’endoctrinement divers et variés (voir la
formation du FMI, très orientée, ou encore la rébellion des élèves de Harvard) et
qui ont donc pour objectif de techniciser leur idéologie afin de la rendre la plus
neutre possible en guise de camouflage. Afin de bien se rendre compte de
l’application de cette stratégie en Tunisie, nous choisissons deux passages
éclairant à ce sujet. Le premier est celui de Jalloul Ayed, Ministre des Finances
durant la transition et technocrate de surcroit. Alors qu’il était interrogé sur le
contenu de son Plan de Développement dit Plan Jasmin, il insiste : « nous avons
fait en sorte de produire un plan sans fondement ni coloration idéologique.
N’importe quel futur gouvernement aura, de ce fait, un plan qu’il pourra
reprendre ou amender plus ou moins », ce qui entre clairement dans l’art de
dissimuler, camoufler son idéologie afin de la faire passer pour neutre. Le
deuxième est celui de l’inévitable M.K. Nabli qui, lors d’un énième entretien de
blanchiment communicationnel, répond à la question suivante : « Les
programmes économiques et sociaux des différents partis se ressemblent dans
leur majorité et épousent les schémas préparés par le gouvernement ? » par «
Ce n’est pas sorcier, explique M. Nabli. Nous partons tous des mêmes
diagnostics et aboutissons, à quelques nuances près, aux mêmes solutions.
Mais, chacun, selon sa démarche. Il y a cependant beaucoup de convergence. »
Voilà comment aujourd’hui des technocrates arrivent à duper les tunisien(ne)s
en faisant passer leur idéologie pour neutre et en l’unifiant pour cacher les
multiplicités de points de vue. Nombreux sont les tunisien(ne)s qui ne s’en
rendent tellement pas compte qu’ils réclament haut et fort, et de leur plein gré,
croyant accomplir là une quête révolutionnaire, un gouvernement de
technocrates ! Là est toute la situation tragique dans laquelle se trouve la
Tunisie. L’ombre règnera t-elle sur la lumière ? Est-il possible encore de déjouer
cette stratégie ?
Pour refermer la page de l’Histoire sud-africaine, il est indispensable de montrer
quel est le vrai visage actuel de l’Afrique du Sud, bien qu’on tente de nous la
montrer sous ses meilleurs auspices : « Plus de dix ans après que l'Afrique du
Sud eut décidé d'opter pour le tchatchérisme comme moyen d'assurer la justice
par voie de percolation, les résultats de l'expérience sont proprement
scandaleux. Voyons quelques chiffres :
Depuis 1994, année de l'arrivée au pouvoir de l'ANC, le nombre de
personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour a doublé, passant
de deux millions à quatre millions en 2006.
Ente 1991 et 2002, le taux de chômage des Noirs sud-africains a plus
que doublé passant de 23 à 48%.
Seulement 5000 des 35 millions de Noirs que compte l'Afrique du Sud
gagnent plus de 60 000 $ par année. Le nombre de Blancs qui se
trouvent dans cette fourchette est vingt fois plus élevé, et nombreux
sont ceux qui gagnent bien davantage.
Le gouvernement de l'ANC a construit 1,8 millions de logements ;
pendant ce temps, deux millions de personnes ont été jetées à la rue.
Près d'un million de personnes ont été expulsées d'exploitations
agricoles au cours de la première décennie de la démocratie.
Conséquence de ces évictions : le nombre de personnes qui vivent dans
des cabanes de fortune a augmenté de 50%. En 2006, plus d'un SudAfricain
sur quatre vivait dans des cabanes situées dans des
bidonvilles officieux, souvent sans eau courante et sans électricité. »
Voilà le bilan désastreux issu d’une transition volée, manipulée, et détournée de
son sens premier. La Tunisie souhaite t-elle suivre cette voie ? C’est au peuple
de choisir, mais nous avons fait en sorte que ce soit en connaissance de cause.
Pour conclure sur une note d’espoir, nous nous réjouissons de retranscrire
intégralement en annexe un cri du cœur des fonctionnaires de la Banque
Centrale de Tunisie qui alertent avec ferveur, sincérité et courage leurs
compatriotes tunisiens du danger qui les guette.
En espérant vous avoir éclairé sur certains points « soporifiques », terme qui
prend toute sa valeur tant le but est d’endormir le peuple sur ces sujets, nous
vous souhaitons force et courage dans cette longue bataille qu’est celle de la
Liberté.
Terminons par un extrait d’un poème de Victor Hugo, Fonction du poète,
extrait du recueil Les Rayons et les Ombres :
Peuples ! écoutez le poëte !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres.
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
C’est lui qui, malgré les épines,
L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines.
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l’avenir.
Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l’éternelle vérité !
II la fait resplendir pour l’âme
D’une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d’en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !
Anonyflous
Annexe
Nous, jeunes cadres militants de la BCT, déclarons à grande voix que ce qui ce
passe à notre banque est une honte pour la révolution et nous sommes affirmatifs
que rien ne changera tant que Nabli et Saada gouvernent notre banque.
Il est de notre devoir de citoyens d’alerter l’opinion publique de la gravité de la
situation actuelle.
Le constat est là: l’argent volé ne sera ni recensé et ni rapatrié. Les banquiers,
qui ont sali la place financière et servi les intérêts de clan Ben Ali sont toujours
impunis et libres ( Mohamed Daouas, Taoufik Baccar, Aroussi Bayoudh,
Moncef Dakhli, Amor Najii et Mme Kolsom Jaziri, etc ….).
Neuf mois après la révolution, nous nous posons une question simple : quand est
ce que nous allons juger ces criminels de la finance?
Pourquoi messieurs Nabli et Saada ne réagissent pas à nos demandes et tentent
d’enterrer ces dossiers ? Pourquoi est ce que ce ces messieurs essayent de cacher
les faits à l’opinion publique ? N’est t’il pas de leur priorité absolue de répondre
à ce que demande le peuple aujourd’hui : que justice soit faite ?
Nous, jeunes cadres militants, voulons mettre fin à ces agissements qui ne font
pas honneur à notre banque et salissent son image, et la notre.
Le gouverneur Nabli, rappelons le, a été mis dans ce poste, en toute urgence,par
un membre de sa famille : Kamel Letaief, quelques jours après la fuite de son
ami Ben Ali.
Non qualifié et incompétent pour gérer la BCT, Nabli est un simple pion qui sert
aujourd’hui à camoufler les dépassements et irrégularités des responsables de
l’ancien régime.
Nous rappelons aussi, ceux qui l’ont oublié, que Brahim Saada, nommé vice-gouverneur
par Belhassen Trabelsi a été expressément reconduit après la
révolution (malgré ses 60 ans passés).
Pourquoi toute cette urgence à placer ces deux personnes, pourtant complices
de l’ancien régime, dans des postes aussi critiques?
Est-ce que notre banque manque de directeurs intègres qualifiés pour occuper
ces postes ?
N’aurait-il pas été sage de confier cette lourde responsabilité à une personnalité
financière tunisienne intègre ?
Monsieur Saada a été reconduit dans ce poste pour étouffer les crimes financiers
commis par le régime déchu, par ses confrères banquiers et par lui-même.
Ce personnage, qui, par son passé le plus proche, figure sur la liste de la honte,
continue à ce jour à faire la pluie et le beau temps à la BCT devant un
gouverneur complètement effacé car n’ayant aucune expérience monétaire et
financière.
Pire encore, Brahim Saada exploite aussi son poste de vice-gouverneur pour
servir l’intérêt purement mercantile de sa fille et de son fils qui raflent à
longueur de journée des marchés auprès d’hommes d’affaires et de banquiers
soumis à l’autorité d’un père « magouilleur » impliqué en « lettres capitales »
dans plusieurs opérations de malversation et de corruption.
Public tunisien, notre souffrance est grande quand on continue à voir ces
comportements et agissements irresponsables provenant d’un vice gouverneur
corrompu et maintenu en fonction irrégulièrement, se réaliser après le 14 Janvier
surtout en toute impunité.
Ce n’est pas la Tunisie dont ont rêvé nos martyrs. Nous, cadres de la BCT,
fidèles à la révolution, demandons de toute urgence à la plus haute autorité de
l’état et aux membres de l’Assemblé Constituante, de mettre Brahim Saada
immédiatement à la retraite, de lui interdire de quitter le pays, de sceller son
bureau et d’ouvrir publiquement son dossier. Nous détenons tous détails et
justificatifs sur plusieurs crimes financiers qu’il a commis à la STB, auprès de
NAIB Bank, à la STUSID et à la BCT.
Compatriotes et militants tunisiens, nous sommes conscients de la gravité de ce
que nous dénonçons. Par conséquent, nous étalerons au public les dossiers des
crimes financiers commis en faveur de proches du président déchu en citant
certains responsables qui les ont autorisés en bonne connaissance de causes :
- Octroi de crédits a la famille mafieuse de montants dépassant toute logique
financière sans garanties significatives et en marge des procédures les plus
basiques d’autorisation. Ces montants auraient pu servir à financier des milliers
de projets au profit de jeunes entrepreneurs de la Tunisie profonde.
(Document : Le rapport de la cour des comptes sur la STB).
Nous nous demandons aujourd’hui pourquoi est ce que ce document officiel et
public, n’a toujours pas servi à incriminer les responsables de la BCT et de la
STB.
- Autorisations de transferts de devises de centaines de millions de dinars
sans justifications conformes à la réglementation en vigueur. Les fichiers
informatiques de nos serveurs attestent de ces opérations. Quelques
banquiers,avec l’aval de notre banque, ont même transféré de l’argent aux
membres du président déchu après le 14 Janvier (cas de Slim Chiboub pour
financer ses écuries en France).
- Octroi de statuts de non résidents aux sociétés fictives de la famille
notamment à celles de Sakhr Materi et Belhassen Trabelsi. Le plus gros de ces
opérations a été autorisé par l’opportuniste Taoufik Baccar, et la vipère Mme
Kolsom Jaziri, promue pour ces raisons,PDG de la Banque Tuniso-Libyenne
(BTL) et puis de la Banque Tuniso Emiratie (BTE), poste qu’elle occupe jusqu’à
maintenant. Nous demandons à ce que cette dame soit démise de ses fonctions,
interdite de voyage jusqu’à ce que la justice se prononce sur les crimes
financiers qu’elle a commis.
- Abandon d’agios et de principal de crédits de centaines de millions de
dinars sans justifications économiques : cas du dossier le plus récent, pour ne
citer que ce dernier, de l’hôtel Palace de Gammarth propriété, de façons
douteuses de Belhassen Trabelsi. Cette opération a été orchestrée et conduite par
Brahim Saada alors PDG de la STUSID. La liste est grande et les impliqués sont
nombreux. Nous redoutons aujourd’hui la destruction de quelques preuves par
Brahim Saada et espérons que nos directeurs, nos chefs de services et nos
employés honnêtes et intègres doublent de vigilance pour les identifier, recenser
et protéger.
Public tunisien et hauts responsables du pays, si les affaires vont bien à la BCT,
ce n’est nullement grâce à la gouvernance actuelle de la Banque Centrale mais
surtout à notre labeur, à notre attachement au pays et aussi à la bonne conduite
des affaires économiques et politiques par le gouvernement de transition.
Notre banque reste toujours fidèle aux principes de crédibilité inculqués par le
combattant suprême Habib Bourguiba et par la grand gestionnaire et notre
ancien gouverneur Hédi Nouira.
Nous demandons avec insistance des changements urgents et profonds :
- Une rupture avec le passé et l’introduction d’un nouvel esprit de
gouvernance à notre banque.
- Mettre fin aux fonctions des gouverneur et vice gouverneur de la banque
et de sceller leurs bureaux respectifs. La gestion temporaire de notre banque
serait assurée par les excellents directeurs généraux dont on dispose.
- Désignation d’une nouvelle équipe d’inspection de premier ordre,
dépendant directement de premier ministère. Les membres de cette équipe de
technocrates doivent être intègres et n’ayant aucune implication avec l’ancien
régime. Quelques membres de la société civile et des partis politiques doivent y
participer. Les rapports d’une telle commission devraient être rendus publics
afin que le peuple sache la vérité sur les crimes commis à son encontre.
Nous restons prêts et vigilants pour poursuivre la réalisation des objectifs de la
révolution et pour faciliter le travail des inspecteurs en leur confiant tous les
dossiers accablants en notre possession.
Vive la Tunisie démocratique.
Vive la Tunisie libre.
Source: Infos-Banks